Le terme neuromarketing continue de faire débat. Trop lié aux promesses commerciales douteuses des années 2000, il est peu à peu remplacé par neurosciences du consommateur dans le monde académique. Cet article revient sur l’histoire, les critiques et l’évolution d’un champ en pleine mutation.
Le terme neuromarketing évoque encore pour beaucoup des images de cerveaux scannés, de publicités subliminales et de manipulation mentale. Né au début des années 2000, il a été à la fois une promesse fascinante et une source de méfiance.
Aujourd’hui, un mouvement émerge dans la littérature scientifique pour changer de vocabulaire et de posture : il ne s’agirait plus de “neuromarketing”, mais de neurosciences du consommateur (consumer neuroscience). On vous explique tout dans cet article.
Le mot neuromarketing est né en 2002 sous la plume d’Ale Smidts, prix Nobel d'économie. Il désignait une idée alors très innovante : utiliser les outils des neurosciences cognitives (IRMf, EEG, eye-tracking…) pour mieux comprendre comment les consommateurs prennent leurs décisions.
L’intention était scientifique. Mais très vite, le concept a été repris par des agences et des consultants qui y ont vu un levier commercial. Résultat : le neuromarketing a été perçu par beaucoup comme un outil pour manipuler les cerveaux, promettant de vendre “plus, plus vite, plus cher” grâce à une lecture directe des mécanismes inconscients.
À l’international, Martin Lindstrom a popularisé le neuromarketing en s’appuyant sur des données largement contestées. En France, la discipline a été vulgarisée par des personnes se présentant comme docteurs en neurosciences, sans l’être, et qui ont associé le neuromarketing à l'ensemble des mythes sur le cerveau comme la théorie cerveau reptilien.
On observe donc un fossé entre recherche rigoureuse et promesses commerciales.
“Peut-on lire dans l'esprit du consommateur ?”, “Comment Coca-Cola active votre cerveau”, “Apple : l’IRMf de la tentation”
Ces récits, souvent relayés par les médias, ont contribué à construire une image spectaculaire… mais éloignée de la réalité scientifique. Peu d’études réellement solides soutenaient les affirmations avancées. Et surtout, les outils de l’époque ne permettaient pas de tirer des conclusions fiables à partir des données neurophysiologiques recueillies.
Au fil des années, les choses ont changé. Une nouvelle génération de chercheurs, issue des neurosciences, de la psychologie expérimentale et du marketing comportemental, a décidé de reprendre le dossier sérieusement.
Depuis 2015, les publications se sont multipliées dans des revues à comité de lecture. Les protocoles se sont améliorés.
L’analyse des données est devenue plus robuste, plus transparente. Les chercheurs ont adopté une approche pluridisciplinaire, intégrant des apports de la neuroéconomie, des sciences cognitives et des technologies d’eye-tracking, de galvanométrie, ou de réalité virtuelle.
Bref, la discipline a mûri. Mais le terme neuromarketing, lui, est resté grevé d’un passé douteux.
Dans leur article de 2023, Rodríguez et ses collègues expliquent que le terme “consumer neuroscience” est aujourd’hui préféré à celui de neuromarketing dans la majorité des publications scientifiques sérieuses.
Sous ce nouveau nom, la discipline explore de façon rigoureuse comment le cerveau perçoit, traite et mémorise les stimuli marketing.
Ces questions sont explorées avec des outils comme l’IRM fonctionnelle, l’électroencéphalographie, la conductance de la peau, ou encore le suivi oculaire. Ce que cela change ? On ne cherche plus à manipuler, mais à comprendre les véritables déterminants des comportements de consommation.
Un article de 2023 met en lumière deux domaines où les neurosciences du consommateur ont apporté des résultats particulièrement intéressants :
Certaines marques activent des zones cérébrales liées à la récompense (striatum, cortex orbitofrontal). D’autres sont associées à la mémoire émotionnelle ou à l’auto-identité. Cela permet de comprendre pourquoi certaines marques sont perçues comme “intuitivement meilleures” sans que le consommateur puisse l’expliquer rationnellement.
Le design, les couleurs, les textures, la forme… influencent l’attention, la prise de décision et même les émotions inconscientes. Des études montrent que certains types de packaging captent plus rapidement l’attention dans les rayons — même sans que l’acheteur s’en rende compte.
Ces découvertes permettent de passer du design basé sur l’intuition à un design basé sur la preuve.
Ce changement de paradigme ne concerne pas que les chercheurs. Il a des implications concrètes pour les marques, les agences et les consultants.
Changer de nom, c’est aussi changer de posture éthique.
Les neurosciences du consommateur posent une question cruciale : jusqu’où peut-on aller dans l’analyse du comportement sans empiéter sur la liberté de choix ? Les chercheurs commencent à poser les bases d’une neuroéthique marketing, qui inclurait :
Nous utilisons encore le terme “neuromarketing” pour des raisons de référencement, car il reste largement recherché.
Mais dans nos formations, nous amorçons un glissement progressif vers l'expression neurosciences du consommateur, en prenant soin d’en expliquer le contexte et les enjeux.
Notre objectif : transmettre les connaissances issues de la recherche académique, souvent moins spectaculaires que les effets d’annonce médiatiques, mais bien plus solides et utiles pour comprendre réellement le comportement des consommateurs.
Références :
Rodríguez, V. J. C., Antonovica, A., & Sutil Martín, D. L. (2023). Consumer neuroscience on branding and packaging: A review and future research agenda. International Journal of Consumer Studies.``